Ouverture Facile, poker en ligne... J'étais arrivé à un degré certain de procrastination.
Tout comme mon piano que je n'avais pas touché depuis 10 ans. Et puis du jour au lendemain, il devient mon meilleur ami. Je commence à en jouer très régulièrement, à surfer sur les sites dédiés cherchant des conseils afin de m'améliorer : je suis devenue carrément plus assidue que lors de mes études.
Mes progrès en piano sont plus réguliers que lorsque j'étais jeune. Je suis grisée de résoudre les énigmes d'Ouverture Facile, réputées si difficiles. J'améliore mon poker, je commence à être payée lors des tournois. Et puis, je suis transportée, lorsque je gagne une grosse main, cela me change les idées, j'ai l'impression d'au moins contrôler quelque chose, qu'on pense pourtant gérée par la "chance". Ça me met dans une période "UP".
En fait, tous ces loisirs, m'occupaient, me faisaient"passer le temps". Il y a longtemps que je ne regarde plus les offres d'emplois tous les matins, que j'ai abandonné l'idée de ré-activer mes contacts. J'ai été pas mal déçue qu'on ne réponde pas à mes candidatures, alors même que je répondais à une annonce, un besoin.
Je commençais à me sentir mal chez moi, je ne sortais pas, je ne voulais pas me confronter au monde, aux autres. De peur qu'on me blesse encore, d'avoir à être présentable et gentille, alors qu'on ne me le rendait pas forcément.
Et puis, j'avais aussi peur de mon comportement, je savais que je n'étais pas "stable". J'avais peur qu'on me balance des pics/taquineries : je n'étais pas d'humeur à supporter ça, et je craignais de répondre de façon disproportionnée et que cela me porte préjudice.
Tous ces loisirs, intellectuels, m'occupaient l'esprit, m'occupaient à ne pas penser à moi. M'éloignaient de mes problèmes, de mes craintes. Je pensais, naïvement, que je ne voulais pas travailler pour profiter des assedics. Que je voulais prendre du bon temps. Mais je n'avais pas encore vraiment réalisé, jusqu'à hier, très récemment.
Mon copain rentre à la maison avec un "plan taff", peut être pour moi. D'ailleurs, il me précise que c'est F-X qui va être aux commandes. Je commence à devenir sombre. Oui je le connais : on était en classe ensemble, il avait pris parti pour mon ex à l'époque.
Je réponds "Oui, il est sympa (c'est vrai en plus) mais... je l'ai déjà entendu dire du mal des gens dans leur dos (c'est vrai aussi !) J'ai peur que si ça se passe mal au boulot, il dise du mal de moi, sur ma personne."
Mon copain me répond que ce n'est pas grave, que pour le travail, on n'a pas besoin d'être "potes", qu'il n'y avait pas de raison de m'inquiéter au vu de mes références.
Je me tais avant que ma voix tremble, et je me m'assieds de suite devant mon piano. Mais là, ça ne marche pas, le piano ne me détourne pas de mes émotions. Je sens les larmes me monter aux yeux, une grosse boule dans la gorge. Mon copain s'étonne devant mes larmes, et me demande juste "pourquoi" je suis dans cet état là. Et d'un coup, les larmes et le hoquet me submergent. Je viens de comprendre.
Il n'y avait pas que par paresse que je ne voulais pas travailler. J'adore mon métier, d'ailleurs, quand j'ai des contrats freelance, je les honore avec beaucoup d'enthousiasme. Je viens juste de comprendre que je ne voulais pas retourner dans le "milieu".
Dans ce milieu clos, où on dit du mal de moi, non pas sur mes compétences, mais sur mes relations, sur l'effet que je fais(ais) sur les hommes. Cela se passait tellement bien avec les filles et les gays !
J'ai fondu en larmes, car je venais de comprendre ma situation, car d'un coup, c'était comme une évidence pourquoi je ne travaillais pas. Je n'acceptais même pas de postuler pour un job. Juste postuler.
Et surtout, j'ai été triste de ne pas m'être écoutée avant, de ne pas m'être rendue compte de ma souffrance face à ce milieu, à ce métier passion.
J'étais triste, car cela voulais dire que je renonce à 5 ans de métier, et j'avais peur.
J'étais triste car j'avais perdu tout ce temps, à penser que je retournais un jour dans le "milieu", à toujours garder un petit pied dedans, en espérant qu'on m'appellerait pour un nouveau projet.
J'annonce, je ne veux plus travailler dans ce milieu.
Je veux travailler pour moi, que mon talent soit reconnu pour ce qu'il est.
Je ne veux plus subir des tensions sexuelles à la con, des bizutages permanents, sur ma jeunesse, sur ma petite taille, sur mon exotisme qui excite les fantasmes.
J'en ai marre de travailler dans un univers machistes qui se dit "bon enfant". Etre familier et irrespectueux n'est pas "bon enfant", c'est juste manquer aux règles élémentaires de la bien-séance, et je ne veux plus travailler dans un milieu aussi précaire, peu réglementé, et où le syndic et un motif de non-embauche. (et le recrutement se fait par bouche à oreille, et les contrats ne sont que des CDD, des missions de courtes durées : alors il est perdu d'avance d'engager un procès : on ne vous reprendra pas dans une autre boîte après ! tout se sait.)
Ma crise de larme m'a fait un bien fou. Passé le moment douloureux de la mise en évidence, c'est tout un nouveau chemin qui s'ouvre à moi. Je crois.